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Bullshit jobs, IA, arrêts maladie : a-t-on fait sa fête au travail ?

Le 1er mai prétend honorer le travail. Mais quel travail ? Celui des scieurs de pierre, des cueilleuses de houblon, des métallos du Front populaire ? Ou celui des consultants en stratégie de décarbonation douce, des chefs de projet inclusion bien-être, des créateurs de contenus pour marques de lessive ? Le mot est resté, le contenu s’est dissous. On fête une coquille.

Le travail n’existe plus comme nécessité

Dans l’Ancien Régime, il lie le corps à la survie. Il creuse les reins, brise les mains, plie la nuque. Il est pénitence. La révolution industrielle n’a rien changé : le salariat y devient une autre forme de servage. Les ouvriers crèvent jeunes, les paysans meurent sales. Ce travail-là avait un sens : il servait à produire ce qui faisait vivre. Il n’y avait pas de choix, pas de plan de carrière, pas de bullshit. Seulement la contrainte brute du monde matériel.

Aujourd’hui, dans les sociétés riches, cette nécessité est effacée. On travaille dans des open spaces à température contrôlée, à distance, sans patron identifiable, avec un manager du bonheur en réunion hebdomadaire. On peut s’arrêter sept semaines par an, se plaindre de trop de mails, se reconvertir à 38 ans, toucher une rupture conventionnelle, aller aux prud’hommes. On peut vivre sans produire. On peut vivre sans travailler. Le lien entre effort et subsistance est rompu.

L’inflation de l’occupation

Il faut pourtant bien occuper les masses. Produire pour produire est devenu absurde dans des économies d’abondance. Alors on crée des couches. Des strates. Des fonctions. Des bullshit jobs.

Le but n’est plus de répondre à un besoin, mais de donner l’illusion d’une fonction. On optimise les processus d’optimisation. On supervise ceux qui supervisent. On rédige des rapports pour valider des projets qui ne seront jamais lancés. Le secteur public et le capitalisme financiarisé convergent : tous deux doivent employer. Pas pour créer de la valeur, mais pour éviter l’oisiveté visible. Le chômage est un échec symbolique. Mieux vaut salarier pour rien que d’admettre que le travail est obsolète.

Graeber parlait de « jobs inutiles ». La vérité est plus crue : ce sont des parodies de travail, conçues pour maintenir une fiction sociale. Un déguisement collectif, massivement subventionné.

Le but n’est plus de répondre à un besoin, mais de donner l’illusion d’une fonction.

Inner Line

Le salarié-roi dans un monde qui n’a plus besoin de lui

L’idéologie du travail a retourné le pouvoir : le salarié est devenu l’arbitre. Il négocie, il choisit, il démissionne pour “sens”. Il réclame du télétravail, de l’écoute, de l’impact. Il veut du safe space et des valeurs d’entreprise. Le management le flatte, les RH le courtisent, les syndicats le protègent. Pourtant, tout le monde sait. On pourrait s’en passer.

L’IA le menace. L’automatisation progresse. Les tâches cognitives répétitives deviennent algorithmes. Même les fonctions créatives sont hackées. Mais on maintient la mascarade. Pas par humanisme. Par stabilité. Le salariat, comme la monarchie sous l’Ancien Régime, est un théâtre nécessaire tant que rien de plus solide ne le remplace.

Retour au mot travail

Que reste-t-il du mot “travail” ? Un reste religieux ? Une fierté absurde ? Un héritage marxiste vidé de son carburant ? Sur les pancartes du 1er mai, il ne signifie plus rien. Il flotte, totem creux, célébré par des gens qui n’ont jamais connu la fatigue physique, ni la peur du lendemain, ni la nécessité d’un métier pour ne pas mourir.

Travail : mot ancien. Utilisé partout. Bientôt plus nulle part.

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