RobertPrevost

Le pape et ses non-croyants

Le pape Léon XIV vient à peine d’apparaître au balcon que déjà la question est posée : sera-t-il progressiste ? Ouvrira-t-il l’Église aux homosexuels ? Ordonnera-t-il des femmes prêtres ? Fermera-t-il la porte aux populismes ? Autant de débats relancés dans l’heure — non pas au Vatican, mais à Paris, dans les rédactions, sur les plateaux, dans les timelines. Et chose remarquable : la plupart de ceux qui s’en émeuvent ne vont plus à la messe depuis vingt ans, ne croient pas en Dieu, et n’ont aucun projet de conversion.


L’Église comme théâtre idéologique

Il y a là un phénomène récurrent et de plus en plus visible : laïcité revendiquée, anticléricalisme assumé, mais intérêt passionné pour chaque inflexion doctrinale du catholicisme. En France surtout, dès qu’un pape meurt, dès qu’un texte sort, dès qu’un mot sur l’homosexualité, le genre ou l’immigration est prononcé, les non-croyants — journalistes, militants, éditorialistes — s’en emparent. Non pour débattre de théologie. Mais pour surveiller. Pour s’assurer que l’Église avance dans la bonne direction. Dans leur direction.

Et c’est là que le paradoxe devient structurel : cette vigilance ne concerne que le catholicisme. On ne lit pas d’éditoriaux s’inquiétant des positions des rabbins orthodoxes sur la sexualité. On ne débat pas en prime time pour savoir si le clergé chiite reconnaît les droits des trans. L’obsession n’est pas religieuse. Elle est politique.

Cécité volontaire

À l’heure où circulent sur les réseaux — des listes hallucinantes, viralement partagées, de ce que les femmes musulmanes auraient le droit ou l’interdiction de faire en France, imposées non par l’État mais par des milieux religieux ou communautaires : ne pas sortir sans mari, ne pas avoir de réseaux sociaux ni d’amis, ne pas travailler, ne pas respirer trop fort — les rédactions généralistes s’agitent principalement pour savoir si le pape permettra aux femmes d’être diacres.

Cette dissonance n’est pas accidentelle. Elle est structurelle. On regarde du côté où il est possible de juger sans crainte. Le catholicisme n’a plus le pouvoir, mais il reste la cible autorisée. Et pendant que les injonctions sociales les plus rétrogrades s’installent dans le réel sous couvert de tolérance, le feu médiatique reste braqué sur un vieil homme en blanc qui, justement, ne menace plus personne.


Une religion assignée à résidence symbolique

Le catholicisme, dans l’imaginaire contemporain, n’est pas seulement une foi : c’est un marqueur social.
Celui de la France ancienne, de la majorité blanche, du patriarcat, de la bourgeoisie, de l’école privée.
Une religion assignée au dominant.

Et dans la logique contemporaine, le dominant n’a plus droit au silence. Il doit expliquer, justifier, s’excuser, s’ouvrir. Il doit se soumettre à la morale contemporaine ou être disqualifié. Ce que le rabbin, l’imam ou le bonze peuvent encore affirmer sans contradiction — séparation des sexes, hiérarchie stricte, codes vestimentaires — devient inacceptable dès que cela émane d’un évêque.

Parce que la tolérance contemporaine n’est pas universelle. Elle est hiérarchisée.
Elle n’est pas incohérente, elle est stratégique :

  • L’intolérance d’un minoritaire est tolérée : elle est l’expression d’une histoire blessée.
  • L’intolérance d’un majoritaire est disqualifiée : elle est l’empreinte d’un passé oppressif.

Et dans cette grille, le catholicisme est jugé non pour ce qu’il dit, mais pour ce qu’il représente.
Non pour ses dogmes, mais pour son socle anthropologique.


Le pape comme écran de projection progressiste

Alors on veut que le pape change. On ne veut pas que l’imam change. Ni le rabbin.
On veut que le pape demande pardon. On veut qu’il se conforme.
Qu’il incarne une religion de la réparation. Une religion enfin soumise aux normes du moment.
On ne cherche pas à croire. On cherche à plier le symbole.

C’est pourquoi les articles pleuvent à chaque déclaration papale. Ce n’est pas de la foi, c’est une lutte pour la conversion du signifiant.
Faire du catholicisme un soft power compatible. Un fragment de folklore européen, inoffensif, apologétique, utile.


Le territoire, la mémoire, l’obsession

Cette obsession est aussi topographique. La France, même déchristianisée, reste catholique dans sa géographie. Clochers, cathédrales, jours fériés, patronymes. Le catholicisme est là, comme trace visible d’un passé non réglé.
Et ce qui est visible, doit être corrigé.

D’où ce réflexe : régler son compte à l’Église pour ne pas avoir à affronter les autres blocs religieux, plus opaques, plus risqués, moins intégrés. Le catholicisme est une cible facile. Accessible. Civilisée.
On lui parle, parce qu’on sait qu’il répondra.


Ce n’est donc pas un débat sur la religion.
C’est un travail de redéfinition culturelle.
On ne veut pas que le pape guide les croyants. On veut qu’il confirme les vainqueurs du moment.

Et s’il refuse ?
Alors il sera une anomalie.
Un vestige non encore absorbé.

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