Once Upon a Time in Hollywood, sorti en 2019, est un chef d’oeuvre du cinéma. Non par son casting, mais par son impact brutal sur nos consciences. Il est un film sur l’effondrement lent d’un ordre esthétique. Une mise en scène terminale où Hollywood enterre ses propres mythes dans une lumière trop chaude. Tarantino ne filmait pas la fin des années 60. Il orchestrait la lente et moite désagrégation d’un imaginaire ancien.
Contre-culture et anesthésie du réel
Le film n’a pas de structure dramatique. Il fonctionne comme un palimpseste : chaque séquence en recouvre une autre, chaque geste rejoue une mémoire qui se dissout. L’ancien monde, incarné par Rick Dalton et Cliff Booth, n’est pas attaqué frontalement. Il s’efface dans une torpeur confuse, où la décadence ne vient pas de l’extérieur, mais du trop-plein. La star n’est plus un modèle. Elle devient un symptôme.
La contre-culture, loin d’apparaître comme une force de régénération, est montrée sous sa forme déliquescente. Pas de révolution, pas de visions : seulement une jeunesse qui rejoue les mêmes mécanismes d’adhésion, de croyance aveugle, de communautarisme clos. La Spahn Ranch n’est pas un lieu de liberté, c’est une secte. Tarantino ne dénonce pas, il expose : l’utopie hippie, livrée à elle-même, devient une violence molle, déracinée, mystique
Violence, révision, restauration
La scène finale opère comme une explosion tactique. Tarantino n’y exprime pas une morale. Il désigne une stratégie. Le bain de sang fonctionne comme un effacement de la réalité historique — la nuit du meurtre de Sharon Tate — au profit d’un fantasme de rétablissement. Ce que la société n’a pas su empêcher, le cinéma le réécrit, le corrige, le punit.
Cette opération n’est pas innocente. Elle dit quelque chose de profond sur la fonction culturelle du cinéma américain : justifier la violence comme outil de préservation symbolique. La brique dans le visage, le lance-flamme dans la piscine, ne sont pas des excès. Ce sont des gestes politiques. Une restauration par le chaos. Une réaction maquillée en jubilé.
Le film devient un miroir pour toutes les pathologies idéologiques contemporaines : refus du réel, confusion entre justice et vengeance, nostalgie autoritaire, glorification de la virilité à l’ancienne, réaction à la force de destruction moderniste.

Ambiguïté comme doctrine
Chacun voit ce qu’il veut. Certains crient à l’hommage, d’autres à la critique. C’est précisément là que réside la puissance du film : dans cette ambiguïté maintenue jusqu’au bout, jamais résolue, jamais tranchée. Tarantino ne distribue pas les rôles du Bien et du Mal. Il met en scène leur indistinction croissante. Rick Dalton est un raté mégalomane, mais il est montré comme humain. Les hippies sont jeunes, beaux, et deviennent des meurtriers par croyance. Il n’y a pas d’alternative rassurante. Il serait bien fou de ne pas y voir des parallèles avec l’époque actuelle.
Dans cette indistinction, une vérité glisse : l’idéologie destructrice ne disparaît pas avec la chute des grands récits. Elle se recompose. Elle infiltre les marges, les mythologies de remplacement, les micro-communautés. Elle devient molle, souriante, libérée, colorée, mais pas moins dangereuse.
Hollywood comme dispositif de neutralisation
Le titre du film est une ironie cruelle. Il était une fois… Ce n’est pas un conte. C’est un rite funéraire. La machine hollywoodienne est ici observée dans son ultime fonction : neutraliser l’histoire, la rendre consommable, l’anesthésier par excès de forme. Tarantino ne célèbre pas le cinéma. Il le montre en train de se refermer sur lui-même, de se parodier, de se fantasmer en rempart contre l’effondrement.
L’hommage devient camouflage. La beauté devient écran de fumée. Le montage devient une arme.
Le cadavre brille encore. Ce n’est pas un miracle. C’est de l’électricité.