Le 20 octobre 2025, une vidéo diffusée sur les canaux Telegram russes a fait surface : Andreï Lugovoy, député de la Douma, ex-agent du KGB, y appelle face caméra à un « rapprochement avec les États-Unis » et à une « résolution pacifique du conflit ». L’extrait, rapidement relayé sur X (Twitter), tranche avec la rhétorique d’affrontement qui structure le discours russe depuis 2022. Selon The Daily Era et The Moscow Times, cette sortie ne relève pas d’un dérapage, mais d’une méthode.
Le Kremlin parle, comme toujours, à plusieurs vitesses.
Lugovoï comme canal contrôlé
L’homme n’est ni marginal, ni isolé. C’est ce qui le rend utile. Lugovoy porte en lui la signature de l’État sans en avoir le rang officiel. Son nom reste associé à l’affaire Litvinenko ; à l’étranger, il incarne la froideur du renseignement russe. L’utiliser aujourd’hui, c’est produire un signal ambigu : assez crédible pour inquiéter, assez obscur pour être démenti. La paix, ici, est prononcée par une bouche de l’appareil sécuritaire, non par celle de la diplomatie. Le ton est choisi, le canal est calculé.
Une parole de test, pas de tournant
Quelques jours avant, un vice-ministre russe affirmait que « l’élan vers un accord de paix s’est éteint ». Dans la même séquence, l’entourage du Kremlin confirmait que « les discussions avec les États-Unis restaient ouvertes ». La contradiction n’est pas une erreur, mais un protocole.
Lugovoï intervient dans cette zone d’ambivalence : il donne forme à l’hypothèse d’un arrêt sans jamais la formuler. C’est la technique habituelle du pouvoir russe : créer un murmure avant de créer une position.
Cibler Washington, pas Kiev
Le message ne vise pas l’Ukraine, ni même l’Europe. Il s’adresse directement aux États-Unis, et plus précisément à leur aile conservatrice. Lugovoï y cite la congresswoman républicaine Anna Paulina Luna et évoque une coopération contre « le terrorisme, la cybermenace et l’immigration illégale ». Cette rhétorique civilisationnelle n’est pas diplomatique ; elle est culturelle.
Moscou s’adresse à la droite américaine pour fracturer le consensus occidental, transformer la guerre en débat identitaire.
La guerre, normalité politique
Après quatre années de conflit, la guerre n’est plus un événement, mais une infrastructure. Elle régit l’économie, la hiérarchie et l’imaginaire collectif. Pourtant, la fatigue se propage. Le pouvoir entend ce murmure.
Lugovoï est l’instrument d’une réponse contrôlée : introduire le mot “paix”, parsemer la nouvelle, oxygéner le système sans rompre la tension.
Le récit avant la réalité
Depuis 2022, la Russie a déplacé la guerre du champ militaire vers celui du langage. Chaque message, chaque apparition, devient une arme narrative. La vidéo de Lugovoï s’inscrit dans cette continuité : une manœuvre pour sonder les réactions internes, mesurer la lassitude internationale, évaluer la possibilité d’un rééquilibrage sans concession.
La paix n’est pas ici qu’un projet, mais aussi un scénario de communication : une sonde lancée dans le brouillard.
Le réel sous le mot “paix”
Ce qui change, ce n’est pas la stratégie militaire, mais la grammaire du pouvoir. Après des années de tension maximale, Moscou ajuste son tempo : ralentir sans reculer, ouvrir une fenêtre sans y passer. L’État russe sait que la paix, dans certaines bouches, agit comme un antidote temporaire, une manière de stabiliser la guerre.
