L’intelligence artificielle n’est pas une technologie : c’est un tournant civilisationnel. Comme le feu, la roue, l’imprimerie, internet avant elle, l’IA est un tournant dans l’histoire de l’humanité. Elle ne relève plus de l’hypothèse. Elle configure déjà les rapports de force, les hiérarchies systémiques et les narrations collectives. Beaucoup d’humains y travaillent, mais quelques figures dans le monde en incarnent les lignes intérieures. Pas seulement parce qu’elles sont visionnaires, mais parce qu’elles jouent selon les règles de leur propre bloc. Pour le meilleur et pour le pire.
Altman : l’américain en première ligne
Aux États-Unis, on ne gouverne pas l’IA, on l’invente. Ce n’est pas un projet de société, c’est une infrastructure d’avance. Sam Altman est la figure de proue de cette dynamique, il en est le relais conforme. CEO d’OpenAI, enfant docile de la Silicon Valley, il incarne l’accélération contrôlée. Sa fonction : faire passer l’AGI du laboratoire à la place publique. Certains le voient comme un danger. Pas parce qu’il va trop loin, mais parce qu’il va vite. Trop ?
OpenAI a créé une rupture d’allure, non de fond. Google, Meta, Microsoft ont suivi, contraints. Les États-Unis dominent non par les idées, mais par la chaîne logistique : semi-conducteurs, modèles, standards. Altman est leur visage acceptable. Derrière lui, Nvidia décuple sa capitalisation, Palantir militarise les algorithmes, Anthropic industrialise la précaution. L’IA est américaine par structure, et par avance ingéniérique incontestable.
Von der Leyen : l’européenne en mode défensif
L’Europe n’avance pas, elle s’entoure de murs. Ursula von der Leyen incarne cette stratégie de l’ultime rempart. Présidente de la Commission européenne, elle s’est engagée dans la régulation comme on déploie un filet de sécurité après la chute. L’AI Act n’est pas une réponse, c’est une tentative d’encadrement a posteriori. Le continent n’innove pas, il contre-mesure. Et c’est ainsi en tout : agriculture, énergie, même la pornographie n’y a pas fait exception.
Le pari du « Brussels effect » est une illusion de centralité. Il suppose que le marché européen est encore assez massif pour contraindre les géants technologiques. C’était valable pour le câble USB-C, c’est risible pour les modèles fondationnels. Derrière la façade éthique, l’Europe creuse son retard technologique. Elle protège sans agir. Elle commente une guerre qu’elle ne mène même pas. Et l’Europe continuera d’être à la traine.
Li : le chinois dans l’ombre portée du Parti
Robin Li dirige Baidu. Il ne dirige pas l’IA chinoise. Il en est l’exécutant. Ernie Bot n’est pas simplement une innovation, c’est une réponse. Une copie adaptée. La stratégie chinoise est fondée non pas sur la rupture mais sur la reproductibilité accélérée. Ce n’est pas par manque de talent, c’est un choix politique.
Il n’y a rien de méprisant à dire que la Chine copie, qu’il s’agisse de maroquinerie ou de technologie. C’est un axe de développement, qu’elle a choisi en profitant de ses propres atouts : ingénieurs nombreux, main d’oeuvre peu chère, population très nombreuse et législation favorable.
La force chinoise, c’est l’échelle. Données massives, cadre législatif inexistant, synchronisation étatique : L’innovation ne naît pas dans la liberté, mais dans l’alignement. Robin Li ne dérange pas, ne critique pas, ne dévie pas. L’IA devient une extension du Parti, un système de contrôle, un outil géopolitique. Le code remplace l’idéologie. Il n’y a pas de débat. Il y a de la production. C’est la Chine.
Tahnoon : l’émirati en pari tactique
Les Émirats Arabes Unis ne veulent pas être une simple puissance numérique. Ils le sont déjà. Ils veulent être une plateforme, un phare dans le désert. Sheikh Tahnoon Bin Zayed, frère du Président, a compris que la révolution IA pouvait se jouer hors des anciens centres. Il ne cherche pas à produire une Altmanisation locale, mais à capter les flux, héberger les modèles, financer les bascules. Surtout, il croit en l’IA. Et le pays avec lui.
Création d’un ministère de l’IA dès 2017, infrastructures souveraines, capital illimité : l’Etat arabe, via son passionné d’IA, a réuni toutes les conditions. IHC n’est pas juste un fond d’investissement, c’est son vaisseau amiral. Aleria, son IA phare, n’est pas un produit. C’est un signal. Abu Dhabi devient un carrefour géostratégique entre San Francisco, Shenzhen et Bruxelles. Le désert absorbe les tensions du monde. Aux Emirats, L’IA n’est pas un enjeu moral, mais un levier de souveraineté. Tahnoon l’a compris avant les autres.