La croyance est solidement implantée. Le système de santé français serait le meilleur du monde. Il garantirait l’égalité, la gratuité, l’excellence. Il ferait mieux que tous les autres, notamment ceux où la médecine est un marché. Les Français en sont persuadés. L’assurance maladie est devenue une religion séculière, la carte Vitale un totem. L’idée d’un effondrement ailleurs — les hôpitaux américains inaccessibles, les Anglais attendant des mois, les Allemands broyés par la privatisation — alimente la fiction nationale. Cette perception ne repose pas sur des faits mais sur une construction idéologique, répétée jusqu’à devenir une vérité réflexe.

Une dette sanitaire masquée
En 2024, la France est le 11ᵉ pays au monde en termes de dépenses de santé par habitant (5 381 $/hab.), bien au-dessus de la moyenne OCDE. Les prélèvements obligatoires liés à la santé atteignent 47 % du coût du travail, un record mondial. L’assurance maladie, combinée à une myriade de dispositifs complémentaires (mutuelles, CMU-C, Aide médicale d’État) forme un millefeuille coûteux, peu lisible, souvent redondant. La dette publique atteint 3 228 milliards d’euros, dont près de 300 milliards relèvent du régime général de la Sécurité sociale.
L’État n’a pas de pétrole, mais il a des remboursements. Et ces remboursements sont absorbés par une mécanique de consommation médicale qui ne connaît pas de frein : surmédicalisation, prescription excessive, inflation des actes techniques, redondance des examens, file active de spécialistes. Chaque citoyen se vit comme ayant un “droit aux soins”, sans toujours en percevoir le coût réel, ni l’efficacité médicale marginale.
Une efficacité surévaluée
La qualité des soins français est réelle, mais loin d’être exceptionnelle. En matière d’innovation médicale, la France se classe 17ᵉ au niveau mondial (Freopp, 2024). Pour la qualité des soins strictement entendue, elle arrive 12ᵉ. D’autres pays affichent de meilleures performances avec moins de dépenses. L’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie et le Japon surpassent la France sur plusieurs indicateurs-clés : délais d’accès, continuité des soins, prévention, mortalité évitable.
Les Français aiment ridiculiser les États-Unis comme un enfer sanitaire. Pourtant, sur la mortalité par cancer ou les chances de survie après un accident cardiovasculaire, le système américain dépasse le français. La qualité n’est pas strictement corrélée au caractère public du financement, mais à l’efficacité organisationnelle, à l’intégration des parcours de soins, à la responsabilisation du patient.
Le mirage de la gratuité
Le remboursement ne signifie pas gratuité. Il masque la répartition réelle du financement. En France, les soins dentaires et optiques sont partiellement remboursés. 30 à 35 % restent à la charge du patient ou de sa complémentaire. Le reste est compensé par des assurances privées, créant une illusion de couverture totale. Les pays nordiques, souvent cités comme plus “libéraux”, présentent des taux de reste-à-charge plus transparents mais aussi mieux régulés, avec un plafonnement annuel qui évite les ruines personnelles. Le système français cumule les deux : opacité des coûts réels et complexité bureaucratique.
Le confort de la plainte nationale
Le mythe du système “le meilleur au monde” fonctionne parce qu’il soutient une posture victimaire paradoxale : tout va mal, mais c’est pire ailleurs. Les temps d’attente pour voir un spécialiste explosent (63 jours en moyenne, +50 % en cinq ans). Mais cela resterait plus dramatique dans le NHS britannique. Les déserts médicaux s’étendent (8 % de la population concernée). Mais les Français gardent l’illusion d’une médecine de proximité.
On fait semblant de croire que la carte Vitale guérit. On parle de la CMU comme d’une avancée civilisationnelle, alors qu’elle masque une inégalité croissante d’accès aux soins de qualité. Les discours politiques vantent l’égalité, les faits démontrent une polarisation territoriale, sociale et financière.
Ce que l’on ne regarde jamais
Le système français ne coûte pas cher aux citoyens, dit-on. Mais il coûte beaucoup aux actifs, aux entreprises, à l’investissement productif. Il rigidifie le marché du travail, augmente le coût du travail non qualifié, freine l’innovation en santé. Il décourage l’installation des médecins dans les zones déficitaires, tout en maintenant artificiellement la demande dans les centres urbains saturés.
On ne regarde pas ce qui fonctionne ailleurs : la responsabilisation progressive du patient (Suède), la digitalisation des parcours de soins (Estonie), l’efficacité hospitalière par contractualisation (Pays-Bas), la réduction drastique des actes inutiles (Japon). On préfère s’inventer un monde dans lequel les autres payent leur aspirine au prix d’une chirurgie.
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